Mahfouz est mort, vive le Caire
Toutes les cités ont, heureusement, survécu à leurs morts, Le Caire ne fera pas exception. Elle fera plus que survivre, elle vivra, grâce à la vie partagée d'un des siens. Mais cette fois ci, la ville et l'homme étaient tellement attachés que leur séparation laissera des traces. Des traces que Neguib Mahfouz (1911-2006), celui qu'on appelle "le plus grand des cairotes", aura consacré sa vie à graver dans l'esprit des Cairotes et dans la mémoire des lieux. Il ne la quittera jamais, ou rarement, même pour aller recevoir le prix Nobel de littérature qui lui a été attribué en 1988
Il n'y a pas rue que Mahfouz n'aura foulée, ni odeurs et parfums qu'il n'aura sentis, il n'y a pas rumeurs ou cris qu'il n'aura perçus, il n'y a pas mouvement des astres qu'il n'aura admiré, même après sa cécité, sur fond des Pyramides monumentales, du Sphinx majestueux, de minarets transperçant le ciel et de quartiers miséreux. Il n'y a pas marchand de journaux, tenancier de café ou chaland de Khan el Khalili, qui ne connaisse Mahfouz et qui ne lui ait serré la main, il n'y pas lieu qu'il n'aura marqué de son passage et où il n'ait sa place de choix.
Je suis dans l'incapacité totale de parler ou de décrire son œuvre vue son ampleur et, je dois le reconnaître avec beaucoup de regrets mais sans complexe, ma méconnaissance sinon mon inculture de la littérature arabe. Mais je sais que son oeuvre a inspiré plus d'un artiste. Combien de films, de pièces de théâtre, de chansons ont été adaptés à partir de ses romans et de ses écrits. Et je peux dire qu'il n'y a pas à ma connaissance œuvre littéraire plus attachée à un lieu, le Caire, que celle de Neguib Mahfouz
Je garderai toujours en mémoire les films des débuts de la télé en noir et blanc, le temps ou le cinéma égyptien faisait encore concurrence à Hollywood, qui donnait une image surréaliste de la vie cairote avec ses intrigues bourgeoises occidentalisées et les contradictions et ambiguïtés du nationalisme, du panarabisme et de la lutte pour l'indépendance. Le Caire a été le théâtre de tout cela et tout cela a été décrit par Neguib Mahfouz avec un soucis de détail qui donne parfois le vertige. Même dans ses romans les plus engagés comme "Abnâa Hâratina" (Les Enfants de notre quartier) il a mis en scène ses personnages, dans sa ville.
Je ne suis pas très fan des séries télé, mais il y en a une que j'ai suivi, il y a quelques années, avec une rare assiduité. C'est l'adaptation de la Trilogie de Mahfouz dans laquelle sont rassemblés trois romans (Impasse des Deux Palais, Le Palais du désir et Le Jardin du passé) dans lesquels il décrit Gamaleyah, le vieux quartier populaire où il a vu le jour. Il y met en scène une famille évoluant, à travers plusieurs générations, dans la ville sociale, la ville culturelle, la ville politique, la ville nouvelle, la ville ancienne, la ville des pauvres, la ville des riches, LA VILLE, dans ses intrigues, ses conflits et dans ses contradictions avec toutes les rides et les cicatrices du temps qui font sa beauté et sa force.
C'est ça LA VILLE, celle qu'a également décrite Jane Jacobs (voir mon article "Jane Jacobs and the New Urbanism") et qu'a vécu Emile ZOLA et que nous souhaiterions léguer à nos enfants. Une ville qui ne veut cacher ni ses forces ni ses faiblesses, ni sa beauté ni sa laideur.
La ville réelle faite par ses habitants.
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S
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